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DÉONTOLOGIE POLICIÈRE... LE
CONTINUUM DE LA COMPROMISSION
Publié par:The Police Chief Magazine Janvier 1998 par :
Kevin M. Gilmartin, Ph.D. John (Jack) J. Harris, M.Ed.
Gilmartin, Harris & Associates
COMPÉTENCE FONCTIONNELLE
Client - Éthique, professionnalisme et intégrité [Code d'éthique]
TABLE DES MATIÈRES
Le continuum de la compromission
Sentiment d’être victime
Actes omis
Actes commis - administratifs
Actes commis de nature criminelle
Privilège ou responsabilisation
Loyauté ou intégrité
Que peut-on faire ?
Ces dernières années, le comportement policier a de plus en plus
capté l’attention du public, partout au pays. Citons entre autres
les affaires suivantes : Rodney King, Ruby Ridge, Waco, fabrication
de preuves à Philadelphie, témoignage de Mark Furhman, «Operation
Spender» et la poursuite et l’appréhension d’illégaux dans le sud de
la Californie. Chaque nouvelle manchette accroît la méfiance envers
la police, nuit aux relations sociopolicières et ternit la
réputation de bien des professionnels honnêtes et travaillants de la
force publique et des organisations qui les emploient. Même les plus
fervents partisans de l’application de loi se demandent ce qui se
passe et se disent, «Peut-on faire confiance à la police pour
qu’elle s’auto-discipline?» Si les cas notoires ci-dessus ont capté
l’attention de la nation, les services policiers, partout au pays
passent de plus en plus de temps à enquêter, à imposer des mesures
disciplinaires et à intenter des poursuites dans le cas de policiers
qui ont enfreint le code de déontologie ou commis des actes
criminels sans faire les manchettes.
Les préoccupations suscitées par les comportements policiers fautifs
sont-ils uniquement attribuables au sensationnalisme médiatique?
A-t-on exploité un nombre plutôt minime d’incidents pour porter
atteinte à toute une profession ou y a-t-il un problème réel qui
exige une attention étroite et une intervention immédiate?
Malheureusement, les incidents qui ont fait les manchettes ont terni
la réputation et remis en question le comportement de l’ensemble de
la force publique. Or ces incidents très médiatisés ne traitent pas
des dilemmes moraux plus subtiles qui se posent quotidiennement à
ces services policiers et aux collectivités qu’ils servent. Partout
au pays, les services policiers doivent se pencher sur les problèmes
d’intégrité et tenter d’y apporter des solutions.
Les inquiétudes au sujet de l’intégrité, de la corruption et des
comportement contraires à la déontologie chez les policiers n’ont
rien de nouveau. La commission Mollen, Knapp, Christopher et
d’autres comités se sont penchés sur ces problèmes dans leurs
compétences respectives. Les suggestions et les recommandations
issues de ces commissions et des autres comités et enquêtes, aussi
révélatrices ou exactes qu’elles aient pu être, n’ont pas été
acceptées d’emblée et n’ont pas donné lieu à des changements marqués
au sein des organisations policières du pays. Si les services ont
augmenté le nombre de cours obligatoires en déontologie, la
formation elle-même n’a pas changé dramatiquement. L’information
n’est pas encore assimilée ni comprise au niveau de la rue, pas plus
d’ailleurs, que dans l’ensemble de l’organisation. Pour bien des
policiers, la formation en déontologie n’est rien de plus qu’une
réaction politique instinctive aux cas les plus médiatisés. Des
changements importants s’imposent dans la conception, l’enseignement
et l’intégration de la déontologie policière au sein de
l’organisation. Sans ces changements, il est peu probable que
l’information soit assimilée et intégrée à la vie quotidienne des
policiers et des organisations policières ou qu’elle apporte des
changements valables.
D’ordinaire, on enseigne la déontologie pendant la formation de base
à l’école de police ou pendant la formation en cours d’emploi, à la
suite d’un incident embarrassant. Enseignants et étudiants
considèrent souvent la déontologie comme un cours nécessaire mais
dont personne ne veut vraiment parler. Si la formation est
nécessaire, la façon dont elle est présentée ou le processus de
socialisation qui survient pendant la première ou les deux premières
années de travail du policier, en dilue l’importance ou la rend
inefficace.
La corruption policière est souvent perçue comme un problème
lointain associé aux «policiers des grandes villes» ou aux «autres
services.» Le négation et le refus d’accepter le possibilité qu’il y
ait de la corruption et des manquements à la déontologie au sein de
«notre service» empêchent les administrateurs et les policiers de
comprendre et de saisir à fond ces problèmes. Sans une compréhension
claire, une information adéquate et des stratégies pratiques, les
policiers, qui sont exposés à un environnement plein de risques,
sont plus susceptibles d’adopter des comportements répréhensibles
qui peuvent détruire leur vie personnelle et leur vie
professionnelle... ainsi que la réputation et la crédibilité de leur
organisation. La transformation d’un policier idéaliste et très
moral en une personne égocentrique qui déclare avec conviction : «il
faut penser à soi car personne ne le fera à notre place», est
subtile et se produit habituellement à son insu. Pour que la
formation en déontologie soit efficace, les policiers doivent
considérer l’information comme pertinente et plausible. La démarche
typique en matière de déontologie, adoptée par les affaires internes,
les superviseurs et les commandants, les avocats ou les autres est
souvent perçue comme une réprimande, un avertissement et une menace.
Lorsqu’on adopte cette démarche, il est rare que les policiers
assimilent l’information ou l’intègrent à leurs activités
quotidiennes, même si elle est intéressante et instructive.
Le continuum de la compromission
Dans cet article, les auteurs expliquent le «continuum de la
compromission» (Gilmartin et Harris, 1995), qui permet de comprendre
et d’enseigner comment un «policier honnête» peut devenir un «policier
compromis». Les services de police peuvent préparer leurs policiers
à faire face aux défis moraux qu’ils auront à relever durant leurs
carrières. Cependant, l’organisation devra changer sa façon
d’aborder ce sujet et son enseignement et intégrer l’information à
l’interne.
Les policiers vivent et travaillent dans un contexte social
dynamique en perpétuel changement où ils sont exposés à une
multitude de conflits moraux. Faute d’être préparés ou avertis, les
policiers sont plus susceptibles de «suivre le courant» que s’ils
sont suffisamment préparés à en affronter les risques potentiels sur
le plan moral. Chaque jour, les policiers se préparent mentalement
en fonction de situations tactiques. Les policiers prêts mentalement
à affronter une situation mortelle ont probablement plus de chances
de réussir que les policiers compétents sur le plan tactique mais
qui ne sont pas préparés mentalement. À l’instar des affrontement
mortels, les dilemmes moraux se présentent aux moments les plus
inopportuns, souvent sans avertissement et en offrant peu de temps
pour réfléchir à la situation. Mal préparés, même les policiers les
plus honnêtes et les plus irréprochables peuvent prendre sur le coup
des décisions contraires à la déontologie... des décisions dont les
conséquences peuvent changer leur vie. Si les policiers doivent
survivre aux dilemmes moraux, ils doivent y être aussi bien préparés
mentalement qu’ils le seraient pour des situations tactiques.
Si le travail policier est attrayant et stimulant, il peut aussi
entraîner les policiers sur la pente de la compromission morale. Le
«continuum de la compromission» décrit cette pente et peut aider les
policiers à comprendre les dilemmes moraux qu’ils devront affronter
et à s’y préparer mentalement. Ainsi, les policiers pourront prendre
de meilleures décisions et en assumer la responsabilité. Il faut
considérer le comportement compromettant comme un risque auquel sont
exposés tous les policiers . . . pas seulement ceux qui se trouvent
dans des environnements «propices à la corruption». Les policiers
pour qui la compromission ou la corruption se présente sous l’angle
du «tout ou rien» ne se sentiront pas «exposés» à ce risque. Quand
la possibilité de compromission n’est pas reconnue, les policiers
considèrent la compromission comme un événement invraisemblable, la
formation comme une perte de temps et sont incapables de se préparer
mentalement. En comprenant le continuum de la compromission les
policiers pourront en reconnaître les risques, évaluer leur propre
risque de compromission et élaborer une stratégie efficace pour
garantir l’intégrité sur le plan moral. L’enseignement de la
déontologie a pour but de favoriser la compréhension de la
progression vers la compromission et de développer des stratégies de
contrôle de soi pour éviter de se retrouver dans des situations
compromettantes.
Le continuum de la compromission®
Le sentiment d’être victime peut mener à rationaliser ou justifier :
actes omis
actes commis de nature administrative
actes commis de nature criminelle
privilège ou responsabilisation
intégrité ou loyauté
Sentiment d’être victime
Avec le temps les policiers en viennent souvent à éprouver le
sentiment d’être victimes. Habituellement, les policiers entament
leur carrière avec beaucoup d’enthousiasme et de motivation.
Cependant, quand ces jeunes policiers investissent trop dans un rôle
professionnel auquel ils s’identifient trop étroitement, ils
adoptent une identité basée uniquement sur leur travail et se
sentent de plus en plus victimes. Les policiers les plus exposés
sont ceux dont la vie se résume littéralement à leur travail. Pour
eux, la déclaration «je suis un policier» n’est pas un simple cliché
mais plutôt un mode de vie. Cette identification et cet
investissement exagérés les amènent à s’attacher étroitement à leur
rôle policier... un rôle qu’ils ne contrôlent pas. Si cela peut
favoriser la camaraderie, cela risque aussi d’amener tôt ou tard les
policiers à haïr et détester le travail qu’ils ont déjà aimé.
Si les policiers ont un contrôle absolu sur leur professionnalisme
et leur intégrité personnelle, leur rôle policier est contrôlé par
d’autres. Les règles, les procédures, les politiques, l’équipement,
les budgets, les affectations et le code vestimentaire du service,
et quantité d’activités quotidiennes et à long terme, sont contrôlés
par les chefs, les commandants, les superviseurs, les procureurs du
système de justice pénale, les lois, les tribunaux, les politiciens,
etc. Les policiers qui s’identifient trop étroitement à leur travail
perdent bientôt le contrôle des autres aspects de leur vie.
L’investissement professionnel exagéré, associé à une perte de
contrôle personnel expose les policiers à un risque grave... un
risque à certains égards plus dangereux que les risques physiques
qu’ils affrontent dans la rue. «Peu importe votre degré de
culpabilité, si vous avez un avocat rusé», voilà comment les
policiers pourraient résumer leur perception cynique, mais inspirée
de la réalité, du système juridique. Cette perception, coïncidant
avec un investissement professionnel exagéré, peut amener les
policiers à percevoir le monde comme un affrontement : «Nous contre
eux».
Les risques physiques auxquels les policiers sont exposés chaque
jour les obligent à voir le monde comme un risque mortel. Pour
survivre, ils doivent développer une «hypervigilance» (Gilmartin,
1984). L’hypervigilance et l’investissement professionnel exagéré
amènent les policiers à croire que les seules personnes auxquelles
ils peuvent réellement faire confiance sont les autres policiers...
les «vrais policiers», pas les «bureaucrates de l’administration».
Si les policiers commencent par se sentir aliénés par rapport au
public, ils peuvent bientôt se distancer du système de justice
pénale et enfin de l’administration de leur propre service. On les
entend souvent déclarer : «je peux m’occuper des cons dans la rue,
mais je ne peux pas supporter ces crétins dans l’administration». Il
est ironique de constater à quel point l’idéalisme et la confiance
envers l’administration peuvent changer rapidement... souvent même
avant d’avoir usé un premier uniforme. À mesure que le sentiment
d’être victime s’accentue, les policiers deviennent plus méfiants et
rancuniers envers toute personne qui contrôle leur rôle
professionnel.
À cette étape, inconsciemment et certainement sans aucune intention
d’enfreindre le code de déontologie, les policiers peuvent sans s’en
douter s’engager sur la pente glissante du continuum de la
compromission.
À mesure que le policier trop engagé se détache de toute activité et
de tout intérêt étrangers à son travail, son sentiment d’être
victime s’accentue. Les groupes de pairs, les amis, les collègues de
travail et peut-être même le cadre de référence de leur vie toute
entière commence à changer. En soi, le sentiment d’être victime n’a
rien à voir avec la compromission sur le plan moral. Cependant, le
sentiment d’être victime (réelle ou imaginaire) est la première
étape du continuum de la compromission.
Actes omis
Quand les policiers (ou d’autres personnes) se sentent attaqués, ils
peuvent en venir à rationaliser et à justifier dans leur esprit des
comportements qu’ils n’adopteraient pas en temps normal. «Les actes
d’omission» surviennent quand les policiers trouvent des raisons et
des justifications de ne pas faire des choses qu’ils ont la
responsabilité d’accomplir. À cette étape, les policiers peuvent se
sentir assez justifiés de ne pas faire certaines choses, croyant
ainsi «rétablir l’équilibre». Ils se disent alors : «S’ils (peu
importe qui) ne se soucient pas de nous, pourquoi devrions-nous nous
soucier d’eux!» Les actes d’omission peuvent prendre la forme d’une
non-productivité sélective (ignorer certaines infractions de la
circulation ou certains actes criminels, etc.), «fermer les yeux» ou
éviter d’aller constater sur place ce qui se passe, se contenter
d’enquêtes superficielles, négliger la paperasse, omettre le suivi,
ne faire que le strict minimum et ne pas s’occuper de beaucoup
d’autres activités que les policiers peuvent aisément omettre. À
cette étape, les policiers ont l’habitude de se dire : «Les
interventions qu’on ne fait pas ne nous causent pas d’ennuis!»
Il en résulte une productivité réduite et une résistance passive au
mandat de l’organisation. Les «actes d’omission» sont rarement
exposés à la critique des pairs qui eux-mêmes, vivent fréquemment le
même processus de socialisation et éprouvent le même sentiment
d’être victimes. La loyauté et l’acceptation des pairs deviennent
plus importantes que de suivre un certain ensemble arbitraire de
principes professionnels. Le sentiment d’être victime peut amener le
policier à rationaliser et à justifier d’autres actes d’omission,
comme de ne pas rapporter un comportement inacceptable d’un autre
policier (même si ce comportement peut parfois être extrême ou
criminel).
Actes commis - administratifs
Une fois que les policiers négligent régulièrement des
responsabilités professionnelles, il n’est pas difficile de passer à
l’étape suivante... «les actes commis de nature administrative». Au
lieu de simplement ignorer des responsabilités et des devoirs, les
policiers enfreignent les consignes administratives. Ils commencent
par enfreindre des règles mineures, qui semblent sans conséquences
ou entraver le «véritable travail de police». Cela peut ouvrir la
voie à une progression constante du continuum. Les actes commis de
nature administrative se présentent sous bien des formes, notamment...
porter des équipements ou des armes non autorisés, s’adonner à des
occupations interdites et à d’autres activités, consommer de
l’alcool au travail, avoir des aventures romantiques au travail,
omettre de présenter des rapports et faire feu en guise
d’avertissement. Les sanctions imposées par le service sont
habituellement le seul risque auquel les policiers s’exposent à
cette étape. Pour la plupart des policiers, la progression dans le
continuum de la compromission s’arrête là. Les actes omis et les
actes commis de nature administrative sont graves au chapitre de la
responsabilité professionnelle et de l’intégrité personnelle. S’ils
sont découverts, ils peuvent éroder la confiance de la collectivité
et nuire aux relations sociopolicières. Cependant, ils exposent
rarement les policiers au risque d’accusations criminelles. Les
policiers initialement honnêtes et très motivés en viennent
maintenant à rationaliser leur comportement en se disant: «Je ne
suis pas une recrue naïve qui cherche à transformer le monde... Je
sais ce qui se passe vraiment dans les rues et nous (la police)
devons prendre soin les uns des autres car personne d’autre ne le
fera».
Actes commis de nature criminelle
Sans s’en douter, les policiers peuvent involontairement parvenir à
l’étape suivante et finale du continuum... «les actes commis de
nature criminelle». À l’étape finale du continuum de la
compromission, les policiers en viennent à adopter et à rationaliser
des comportements qu’ils n’auraient pas même imaginés quelques
années plus tôt. Au début, les actes commis de nature criminelle
peuvent sembler bénins et pas tellement différents des actes commis
de nature administrative : supprimer des éléments de preuve qui ne
serviront jamais au lieu de les remettre à qui de droit, améliorer
des fiches de temps ou d’heures supplémentaires, acheter indûment de
l’équipement de police nécessaire avec de l’argent saisi d’un
vendeur de drogue, s’attendre à trouver un «petit quelque chose dans
l’enveloppe» en passant, voilà quelques exemples que les policiers
ont aisément rationalisés. «Après tout, nous risquons nos vies et
ils nous le doivent bien». Le policier peut omettre de remettre une
arme comme élément de preuve et la conserver en se disant : «De
toute façon ce n’est qu’une arme de drogué qui servirait
probablement à tuer un innocent ou même un policier». Si le vol et
le détournement d’actifs saisis présentent un problème, il se dit
que ce n’est pas «comme un vrai vol avec une victime bien réelle,
personne n’en souffre sauf le drogué, alors pourquoi tant
d’histoires?» Le dilemme entre la «loyauté ou l’intégrité» peut
transformer des actes criminels en des complots... selon que
d’autres policiers y participent activement ou les acceptent
passivement, par loyauté.
Or à cette étape, les risques vont bien au-delà d’une simple
suspension ou d’une réprimande administrative... les policiers
risquent le renvoi et des sanctions criminelles s’ils se font
prendre. Les policiers initialement honnêtes, dévoués et
irréprochables se demandent maintenant : «où ais-je fait fausse
route?» et «comment cela a-t-il pu arriver?», en se rendant compte
qu’ils ont ruiné leur vie professionnelle et personnelle et qu’ils
doivent répondre à des accusations criminelles. Les policiers qui en
viennent à cette extrémité, ne se sont pas soudainement transformés
de policiers honnêtes et travaillants en personnes accusées d’actes
criminels.
Privilège ou responsabilisation
Les policiers peuvent acquérir un sentiment accablant d’être victime
et éprouver un vif ressentiment à l’endroit des superviseurs et des
administrateurs qui contrôlent leur travail ou leur rôle. Cela peut
mener à un autre dilemme... le sentiment du privilège, qui
sous-entend «nous sommes solidaires» et «nous méritons un traitement
spécial». Le policier en congé qui circule à 30 m/h au-dessus de la
limite de vitesse en zig-zagant dans la circulation et qui dit à son
passager, un collègue inquiet : «relaxe! j’ai mon insigne!» exprime
un sentiment de privilège et d’impunité.
Des policiers en service et en congé invoquent ce privilège pour se
comporter comme si bien des règles ne s’appliquaient pas à eux. La «courtoisie
professionnelle» est loin de se limiter à donner une chance à un
autre policier qui a commis une infraction au code de la route. Les
policiers sont constamment aux prises avec le dilemme de «faire
comme il faut ou faire ce qu’il faut». La seule façon de changer ce
sentiment de privilège est de préconiser un environnement de
responsabilisation... organisationnelle et personnelle.
Loyauté ou intégrité
La plupart des policiers veulent être reconnus comme des personnes
loyales et intègres. Un problème se pose toutefois lorsqu’un
sentiment d’être victime et une identification professionnelle
exagérée suscitent le dilemme «loyauté ou intégrité» (Commission
Mollen, 1994). C’est ainsi que des policiers convoqués par les
Affaires internes et interrogés au sujet d’un autre policier vont
mentir, bien souvent au sujet d’un problème mineur. Quand cela se
produit, le policier troque son intégrité en faveur de sa «loyauté»
envers un collègue policier. Malheureusement, les services policiers,
partout au pays, peuvent donner bien des exemples de policiers
«innocents» qui n’ont pas dit la vérité pour tenter de protéger un
partenaire ou un collègue de travail et qui font face à des mesures
disciplinaires graves risquant de mettre un terme à leur carrière.
En étant exposés tôt à des affirmations comme : «comment le service
pourra-t-il savoir la vérité si on se tient tous ensemble?» ou «les
policiers ne vendent pas leurs semblables», les policiers ne
manqueront pas de faire face au dilemme «loyauté ou intégrité»
pendant leur carrière.
Que peut-on faire?
Si les policiers sont mal préparés à faire face aux dilemmes moraux
auxquels ils seront exposés et s’ils ne sont pas conscients du
continuum de la compromission, ils peuvent aveuglément et au bout
d’un certain temps laisser les petites vexations professionnelles se
transformer en rage et en colère pathologique... et en subir les
conséquences désastreuses. Cette progression est clairement
prévisible et souvent évitable. Le temps et les ressources
consacrées à éviter la compromission sur le plan moral par un
enseignement plausible et une supervision proactive apparaissent
infimes par rapport à ce qu’il en coûte pour mener des enquêtes
criminelles et des enquêtes internes, réunir des commissions
d’enquête ou rétablir la confiance de la collectivité et les
relations sociopolicières.
Si les services policiers veulent créer un climat moral impeccable,
ils doivent adopter une stratégie compréhensive pour l’ensemble du
service. Les policiers doivent comprendre et accepter que le
«continuum de la compromission» est une réalité qui peut affecter
tous les membres du service. Ils doivent apprendre à changer le
«sentiment d’être victime» et à intérioriser une «mentalité de
survivant». Il est essentiel d’apprendre aux policiers à voir et à
comprendre la différence entre ce qu’ils contrôlent et ce qu’ils ne
contrôlent pas pour en faire des policiers solides sur le plan
moral. Il faut leur enseigner et les amener à mettre en pratique des
stratégies leur permettant d’accepter le fait qu’ils ne contrôlent
pas leur rôle policier, mais qu’ils ont un contrôle absolu sur leur
intégrité et leur professionnalisme.
S’il appartient finalement à chaque policier de respecter le code de
déontologie, la direction doit assumer certaines responsabilités.
Les superviseurs doivent reconnaître les manquements possibles à la
déontologie et s’en occuper proactivement avant qu’ils n’entraînent
des problèmes graves. Les superviseurs commettent souvent des actes
d’omission. Le fait de négliger des «petites choses» peut finalement
avoir des effets dévastateurs pour l’organisation aussi bien que
pour le policier. Les superviseurs doivent posséder des habiletés
pratiques, être disposés à les employer et ils doivent être tenus
responsables de s’acquitter de leurs responsabilités. Les
superviseurs, les commandants et la haute direction doivent être
conscients de leurs vulnérabilités et des messages amus qu’ils
transmettent parfois. Ils ne peuvent pas se contenter de parler de
déontologie... ils doivent donner l’exemple et servir chaque jour de
modèles de comportement. Les comportements des superviseurs et des
cadres qui enfreignent la déontologie ne peuvent que donner des
modèles de comportements contraires à la déontologie et transmettre
le message suivant : «Faites ce que nous vous disons de faire, ne
faites pas ce que nous faisons». Est-ce que le cadre policier qui
s’inscrit à un congrès policier (aux frais du contribuable) et qui
joue au golf au lieu d’assister au congrès enfreint moins le code de
déontologie que l’officier hiérarchique qui n’est pas en mesure de
répondre aux appels parce qu’il s’occupe d’affaires personnelles
pendant le service? La politique, l’histoire de l’organisation ou
les traditions institutionnelles ne devraient jamais servir à
rationaliser ou à justifier un comportement contraire à la
déontologie. Tant que ce qui se passe au sein du service s’écarte de
ce qu’on y enseigne, tout programme de formation en déontologie ne
sera guère plus que des voeux pieux et un gaspillage de ressources
et de temps précieux.
Le «continuum de la compromission» peut exister à tous les niveaux
d’une organisation. La formation en déontologie et l’engagement à
viser le niveau d’intégrité personnelle et professionnelle le plus
élevé doivent s’adresser à tous les membres et être renouvelées
régulièrement dans tout le service. Si l’application de la loi doit
posséder, conserver et dans certaines compétences, retrouver le
statut d’une profession respectée dans la société, il faut changer
la façon d’aborder les questions de déontologie et d’intégrité. Il
faut un engagement sincère de l’organisation et une formation
valable visant à éviter que de petits incidents n’engendrent des
situations graves aux conséquences potentiellement dévastatrices.
Malgré les manchettes, les organisations policières peuvent regagner
la confiance perdue, améliorer les relations sociopolicières,
protéger la réputation de bien des policiers professionnels et
travaillants soucieux du respect de la morale et empêcher des
policiers de détruire leurs carrière professionnelle et leur vie
personnelle. On ne peut plus considérer la formation en déontologie
comme la façade qui permet de faire bonne presse après un incident
embarrassant qui a fait les manchettes. La déontologie, l’intégrité,
la compromission et la corruption doivent devenir des sujets aussi
importants que d’autres domaines de formation policière importants
si on veut apporter de véritables changements. En s’engageant
sérieusement et en adoptant un rôle proactif, les organisations
peuvent s’attendre à consacrer moins de temps à enquêter, à imposer
des mesures disciplinaires et à intenter des poursuites à l’endroit
des policiers pour des manquements au code de déontologie ou des
comportements criminels.
© Kevin M. Gilmartin, Ph.D. / John (Jack) J. Harris, M.Ed.
Gilmartin, Harris & Associates - 1997
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©E-S Press 1999 -
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