DÉONTOLOGIE POLICIÈRE... LE CONTINUUM DE LA COMPROMISSION

Publié par:The Police Chief Magazine Janvier 1998 par :
Kevin M. Gilmartin, Ph.D. John (Jack) J. Harris, M.Ed.
Gilmartin, Harris & Associates


COMPÉTENCE FONCTIONNELLE

Client - Éthique, professionnalisme et intégrité [Code d'éthique]


TABLE DES MATIÈRES

Le continuum de la compromission
Sentiment d’être victime
Actes omis
Actes commis - administratifs
Actes commis de nature criminelle
Privilège ou responsabilisation
Loyauté ou intégrité
Que peut-on faire ?
Ces dernières années, le comportement policier a de plus en plus capté l’attention du public, partout au pays. Citons entre autres les affaires suivantes : Rodney King, Ruby Ridge, Waco, fabrication de preuves à Philadelphie, témoignage de Mark Furhman, «Operation Spender» et la poursuite et l’appréhension d’illégaux dans le sud de la Californie. Chaque nouvelle manchette accroît la méfiance envers la police, nuit aux relations sociopolicières et ternit la réputation de bien des professionnels honnêtes et travaillants de la force publique et des organisations qui les emploient. Même les plus fervents partisans de l’application de loi se demandent ce qui se passe et se disent, «Peut-on faire confiance à la police pour qu’elle s’auto-discipline?» Si les cas notoires ci-dessus ont capté l’attention de la nation, les services policiers, partout au pays passent de plus en plus de temps à enquêter, à imposer des mesures disciplinaires et à intenter des poursuites dans le cas de policiers qui ont enfreint le code de déontologie ou commis des actes criminels sans faire les manchettes.

Les préoccupations suscitées par les comportements policiers fautifs sont-ils uniquement attribuables au sensationnalisme médiatique? A-t-on exploité un nombre plutôt minime d’incidents pour porter atteinte à toute une profession ou y a-t-il un problème réel qui exige une attention étroite et une intervention immédiate? Malheureusement, les incidents qui ont fait les manchettes ont terni la réputation et remis en question le comportement de l’ensemble de la force publique. Or ces incidents très médiatisés ne traitent pas des dilemmes moraux plus subtiles qui se posent quotidiennement à ces services policiers et aux collectivités qu’ils servent. Partout au pays, les services policiers doivent se pencher sur les problèmes d’intégrité et tenter d’y apporter des solutions.

Les inquiétudes au sujet de l’intégrité, de la corruption et des comportement contraires à la déontologie chez les policiers n’ont rien de nouveau. La commission Mollen, Knapp, Christopher et d’autres comités se sont penchés sur ces problèmes dans leurs compétences respectives. Les suggestions et les recommandations issues de ces commissions et des autres comités et enquêtes, aussi révélatrices ou exactes qu’elles aient pu être, n’ont pas été acceptées d’emblée et n’ont pas donné lieu à des changements marqués au sein des organisations policières du pays. Si les services ont augmenté le nombre de cours obligatoires en déontologie, la formation elle-même n’a pas changé dramatiquement. L’information n’est pas encore assimilée ni comprise au niveau de la rue, pas plus d’ailleurs, que dans l’ensemble de l’organisation. Pour bien des policiers, la formation en déontologie n’est rien de plus qu’une réaction politique instinctive aux cas les plus médiatisés. Des changements importants s’imposent dans la conception, l’enseignement et l’intégration de la déontologie policière au sein de l’organisation. Sans ces changements, il est peu probable que l’information soit assimilée et intégrée à la vie quotidienne des policiers et des organisations policières ou qu’elle apporte des changements valables.

D’ordinaire, on enseigne la déontologie pendant la formation de base à l’école de police ou pendant la formation en cours d’emploi, à la suite d’un incident embarrassant. Enseignants et étudiants considèrent souvent la déontologie comme un cours nécessaire mais dont personne ne veut vraiment parler. Si la formation est nécessaire, la façon dont elle est présentée ou le processus de socialisation qui survient pendant la première ou les deux premières années de travail du policier, en dilue l’importance ou la rend inefficace.

La corruption policière est souvent perçue comme un problème lointain associé aux «policiers des grandes villes» ou aux «autres services.» Le négation et le refus d’accepter le possibilité qu’il y ait de la corruption et des manquements à la déontologie au sein de «notre service» empêchent les administrateurs et les policiers de comprendre et de saisir à fond ces problèmes. Sans une compréhension claire, une information adéquate et des stratégies pratiques, les policiers, qui sont exposés à un environnement plein de risques, sont plus susceptibles d’adopter des comportements répréhensibles qui peuvent détruire leur vie personnelle et leur vie professionnelle... ainsi que la réputation et la crédibilité de leur organisation. La transformation d’un policier idéaliste et très moral en une personne égocentrique qui déclare avec conviction : «il faut penser à soi car personne ne le fera à notre place», est subtile et se produit habituellement à son insu. Pour que la formation en déontologie soit efficace, les policiers doivent considérer l’information comme pertinente et plausible. La démarche typique en matière de déontologie, adoptée par les affaires internes, les superviseurs et les commandants, les avocats ou les autres est souvent perçue comme une réprimande, un avertissement et une menace. Lorsqu’on adopte cette démarche, il est rare que les policiers assimilent l’information ou l’intègrent à leurs activités quotidiennes, même si elle est intéressante et instructive.

Le continuum de la compromission

Dans cet article, les auteurs expliquent le «continuum de la compromission» (Gilmartin et Harris, 1995), qui permet de comprendre et d’enseigner comment un «policier honnête» peut devenir un «policier compromis». Les services de police peuvent préparer leurs policiers à faire face aux défis moraux qu’ils auront à relever durant leurs carrières. Cependant, l’organisation devra changer sa façon d’aborder ce sujet et son enseignement et intégrer l’information à l’interne.

Les policiers vivent et travaillent dans un contexte social dynamique en perpétuel changement où ils sont exposés à une multitude de conflits moraux. Faute d’être préparés ou avertis, les policiers sont plus susceptibles de «suivre le courant» que s’ils sont suffisamment préparés à en affronter les risques potentiels sur le plan moral. Chaque jour, les policiers se préparent mentalement en fonction de situations tactiques. Les policiers prêts mentalement à affronter une situation mortelle ont probablement plus de chances de réussir que les policiers compétents sur le plan tactique mais qui ne sont pas préparés mentalement. À l’instar des affrontement mortels, les dilemmes moraux se présentent aux moments les plus inopportuns, souvent sans avertissement et en offrant peu de temps pour réfléchir à la situation. Mal préparés, même les policiers les plus honnêtes et les plus irréprochables peuvent prendre sur le coup des décisions contraires à la déontologie... des décisions dont les conséquences peuvent changer leur vie. Si les policiers doivent survivre aux dilemmes moraux, ils doivent y être aussi bien préparés mentalement qu’ils le seraient pour des situations tactiques.

Si le travail policier est attrayant et stimulant, il peut aussi entraîner les policiers sur la pente de la compromission morale. Le «continuum de la compromission» décrit cette pente et peut aider les policiers à comprendre les dilemmes moraux qu’ils devront affronter et à s’y préparer mentalement. Ainsi, les policiers pourront prendre de meilleures décisions et en assumer la responsabilité. Il faut considérer le comportement compromettant comme un risque auquel sont exposés tous les policiers . . . pas seulement ceux qui se trouvent dans des environnements «propices à la corruption». Les policiers pour qui la compromission ou la corruption se présente sous l’angle du «tout ou rien» ne se sentiront pas «exposés» à ce risque. Quand la possibilité de compromission n’est pas reconnue, les policiers considèrent la compromission comme un événement invraisemblable, la formation comme une perte de temps et sont incapables de se préparer mentalement. En comprenant le continuum de la compromission les policiers pourront en reconnaître les risques, évaluer leur propre risque de compromission et élaborer une stratégie efficace pour garantir l’intégrité sur le plan moral. L’enseignement de la déontologie a pour but de favoriser la compréhension de la progression vers la compromission et de développer des stratégies de contrôle de soi pour éviter de se retrouver dans des situations compromettantes.

Le continuum de la compromission®

Le sentiment d’être victime peut mener à rationaliser ou justifier :

actes omis
actes commis de nature administrative
actes commis de nature criminelle
privilège ou responsabilisation
intégrité ou loyauté

Sentiment d’être victime

Avec le temps les policiers en viennent souvent à éprouver le sentiment d’être victimes. Habituellement, les policiers entament leur carrière avec beaucoup d’enthousiasme et de motivation. Cependant, quand ces jeunes policiers investissent trop dans un rôle professionnel auquel ils s’identifient trop étroitement, ils adoptent une identité basée uniquement sur leur travail et se sentent de plus en plus victimes. Les policiers les plus exposés sont ceux dont la vie se résume littéralement à leur travail. Pour eux, la déclaration «je suis un policier» n’est pas un simple cliché mais plutôt un mode de vie. Cette identification et cet investissement exagérés les amènent à s’attacher étroitement à leur rôle policier... un rôle qu’ils ne contrôlent pas. Si cela peut favoriser la camaraderie, cela risque aussi d’amener tôt ou tard les policiers à haïr et détester le travail qu’ils ont déjà aimé.

Si les policiers ont un contrôle absolu sur leur professionnalisme et leur intégrité personnelle, leur rôle policier est contrôlé par d’autres. Les règles, les procédures, les politiques, l’équipement, les budgets, les affectations et le code vestimentaire du service, et quantité d’activités quotidiennes et à long terme, sont contrôlés par les chefs, les commandants, les superviseurs, les procureurs du système de justice pénale, les lois, les tribunaux, les politiciens, etc. Les policiers qui s’identifient trop étroitement à leur travail perdent bientôt le contrôle des autres aspects de leur vie. L’investissement professionnel exagéré, associé à une perte de contrôle personnel expose les policiers à un risque grave... un risque à certains égards plus dangereux que les risques physiques qu’ils affrontent dans la rue. «Peu importe votre degré de culpabilité, si vous avez un avocat rusé», voilà comment les policiers pourraient résumer leur perception cynique, mais inspirée de la réalité, du système juridique. Cette perception, coïncidant avec un investissement professionnel exagéré, peut amener les policiers à percevoir le monde comme un affrontement : «Nous contre eux».

Les risques physiques auxquels les policiers sont exposés chaque jour les obligent à voir le monde comme un risque mortel. Pour survivre, ils doivent développer une «hypervigilance» (Gilmartin, 1984). L’hypervigilance et l’investissement professionnel exagéré amènent les policiers à croire que les seules personnes auxquelles ils peuvent réellement faire confiance sont les autres policiers... les «vrais policiers», pas les «bureaucrates de l’administration». Si les policiers commencent par se sentir aliénés par rapport au public, ils peuvent bientôt se distancer du système de justice pénale et enfin de l’administration de leur propre service. On les entend souvent déclarer : «je peux m’occuper des cons dans la rue, mais je ne peux pas supporter ces crétins dans l’administration». Il est ironique de constater à quel point l’idéalisme et la confiance envers l’administration peuvent changer rapidement... souvent même avant d’avoir usé un premier uniforme. À mesure que le sentiment d’être victime s’accentue, les policiers deviennent plus méfiants et rancuniers envers toute personne qui contrôle leur rôle professionnel.

À cette étape, inconsciemment et certainement sans aucune intention d’enfreindre le code de déontologie, les policiers peuvent sans s’en douter s’engager sur la pente glissante du continuum de la compromission.

À mesure que le policier trop engagé se détache de toute activité et de tout intérêt étrangers à son travail, son sentiment d’être victime s’accentue. Les groupes de pairs, les amis, les collègues de travail et peut-être même le cadre de référence de leur vie toute entière commence à changer. En soi, le sentiment d’être victime n’a rien à voir avec la compromission sur le plan moral. Cependant, le sentiment d’être victime (réelle ou imaginaire) est la première étape du continuum de la compromission.

Actes omis

Quand les policiers (ou d’autres personnes) se sentent attaqués, ils peuvent en venir à rationaliser et à justifier dans leur esprit des comportements qu’ils n’adopteraient pas en temps normal. «Les actes d’omission» surviennent quand les policiers trouvent des raisons et des justifications de ne pas faire des choses qu’ils ont la responsabilité d’accomplir. À cette étape, les policiers peuvent se sentir assez justifiés de ne pas faire certaines choses, croyant ainsi «rétablir l’équilibre». Ils se disent alors : «S’ils (peu importe qui) ne se soucient pas de nous, pourquoi devrions-nous nous soucier d’eux!» Les actes d’omission peuvent prendre la forme d’une non-productivité sélective (ignorer certaines infractions de la circulation ou certains actes criminels, etc.), «fermer les yeux» ou éviter d’aller constater sur place ce qui se passe, se contenter d’enquêtes superficielles, négliger la paperasse, omettre le suivi, ne faire que le strict minimum et ne pas s’occuper de beaucoup d’autres activités que les policiers peuvent aisément omettre. À cette étape, les policiers ont l’habitude de se dire : «Les interventions qu’on ne fait pas ne nous causent pas d’ennuis!»

Il en résulte une productivité réduite et une résistance passive au mandat de l’organisation. Les «actes d’omission» sont rarement exposés à la critique des pairs qui eux-mêmes, vivent fréquemment le même processus de socialisation et éprouvent le même sentiment d’être victimes. La loyauté et l’acceptation des pairs deviennent plus importantes que de suivre un certain ensemble arbitraire de principes professionnels. Le sentiment d’être victime peut amener le policier à rationaliser et à justifier d’autres actes d’omission, comme de ne pas rapporter un comportement inacceptable d’un autre policier (même si ce comportement peut parfois être extrême ou criminel).

Actes commis - administratifs

Une fois que les policiers négligent régulièrement des responsabilités professionnelles, il n’est pas difficile de passer à l’étape suivante... «les actes commis de nature administrative». Au lieu de simplement ignorer des responsabilités et des devoirs, les policiers enfreignent les consignes administratives. Ils commencent par enfreindre des règles mineures, qui semblent sans conséquences ou entraver le «véritable travail de police». Cela peut ouvrir la voie à une progression constante du continuum. Les actes commis de nature administrative se présentent sous bien des formes, notamment... porter des équipements ou des armes non autorisés, s’adonner à des occupations interdites et à d’autres activités, consommer de l’alcool au travail, avoir des aventures romantiques au travail, omettre de présenter des rapports et faire feu en guise d’avertissement. Les sanctions imposées par le service sont habituellement le seul risque auquel les policiers s’exposent à cette étape. Pour la plupart des policiers, la progression dans le continuum de la compromission s’arrête là. Les actes omis et les actes commis de nature administrative sont graves au chapitre de la responsabilité professionnelle et de l’intégrité personnelle. S’ils sont découverts, ils peuvent éroder la confiance de la collectivité et nuire aux relations sociopolicières. Cependant, ils exposent rarement les policiers au risque d’accusations criminelles. Les policiers initialement honnêtes et très motivés en viennent maintenant à rationaliser leur comportement en se disant: «Je ne suis pas une recrue naïve qui cherche à transformer le monde... Je sais ce qui se passe vraiment dans les rues et nous (la police) devons prendre soin les uns des autres car personne d’autre ne le fera».

Actes commis de nature criminelle

Sans s’en douter, les policiers peuvent involontairement parvenir à l’étape suivante et finale du continuum... «les actes commis de nature criminelle». À l’étape finale du continuum de la compromission, les policiers en viennent à adopter et à rationaliser des comportements qu’ils n’auraient pas même imaginés quelques années plus tôt. Au début, les actes commis de nature criminelle peuvent sembler bénins et pas tellement différents des actes commis de nature administrative : supprimer des éléments de preuve qui ne serviront jamais au lieu de les remettre à qui de droit, améliorer des fiches de temps ou d’heures supplémentaires, acheter indûment de l’équipement de police nécessaire avec de l’argent saisi d’un vendeur de drogue, s’attendre à trouver un «petit quelque chose dans l’enveloppe» en passant, voilà quelques exemples que les policiers ont aisément rationalisés. «Après tout, nous risquons nos vies et ils nous le doivent bien». Le policier peut omettre de remettre une arme comme élément de preuve et la conserver en se disant : «De toute façon ce n’est qu’une arme de drogué qui servirait probablement à tuer un innocent ou même un policier». Si le vol et le détournement d’actifs saisis présentent un problème, il se dit que ce n’est pas «comme un vrai vol avec une victime bien réelle, personne n’en souffre sauf le drogué, alors pourquoi tant d’histoires?» Le dilemme entre la «loyauté ou l’intégrité» peut transformer des actes criminels en des complots... selon que d’autres policiers y participent activement ou les acceptent passivement, par loyauté.

Or à cette étape, les risques vont bien au-delà d’une simple suspension ou d’une réprimande administrative... les policiers risquent le renvoi et des sanctions criminelles s’ils se font prendre. Les policiers initialement honnêtes, dévoués et irréprochables se demandent maintenant : «où ais-je fait fausse route?» et «comment cela a-t-il pu arriver?», en se rendant compte qu’ils ont ruiné leur vie professionnelle et personnelle et qu’ils doivent répondre à des accusations criminelles. Les policiers qui en viennent à cette extrémité, ne se sont pas soudainement transformés de policiers honnêtes et travaillants en personnes accusées d’actes criminels.

Privilège ou responsabilisation

Les policiers peuvent acquérir un sentiment accablant d’être victime et éprouver un vif ressentiment à l’endroit des superviseurs et des administrateurs qui contrôlent leur travail ou leur rôle. Cela peut mener à un autre dilemme... le sentiment du privilège, qui sous-entend «nous sommes solidaires» et «nous méritons un traitement spécial». Le policier en congé qui circule à 30 m/h au-dessus de la limite de vitesse en zig-zagant dans la circulation et qui dit à son passager, un collègue inquiet : «relaxe! j’ai mon insigne!» exprime un sentiment de privilège et d’impunité.

Des policiers en service et en congé invoquent ce privilège pour se comporter comme si bien des règles ne s’appliquaient pas à eux. La «courtoisie professionnelle» est loin de se limiter à donner une chance à un autre policier qui a commis une infraction au code de la route. Les policiers sont constamment aux prises avec le dilemme de «faire comme il faut ou faire ce qu’il faut». La seule façon de changer ce sentiment de privilège est de préconiser un environnement de responsabilisation... organisationnelle et personnelle.

Loyauté ou intégrité

La plupart des policiers veulent être reconnus comme des personnes loyales et intègres. Un problème se pose toutefois lorsqu’un sentiment d’être victime et une identification professionnelle exagérée suscitent le dilemme «loyauté ou intégrité» (Commission Mollen, 1994). C’est ainsi que des policiers convoqués par les Affaires internes et interrogés au sujet d’un autre policier vont mentir, bien souvent au sujet d’un problème mineur. Quand cela se produit, le policier troque son intégrité en faveur de sa «loyauté» envers un collègue policier. Malheureusement, les services policiers, partout au pays, peuvent donner bien des exemples de policiers «innocents» qui n’ont pas dit la vérité pour tenter de protéger un partenaire ou un collègue de travail et qui font face à des mesures disciplinaires graves risquant de mettre un terme à leur carrière. En étant exposés tôt à des affirmations comme : «comment le service pourra-t-il savoir la vérité si on se tient tous ensemble?» ou «les policiers ne vendent pas leurs semblables», les policiers ne manqueront pas de faire face au dilemme «loyauté ou intégrité» pendant leur carrière.

Que peut-on faire?

Si les policiers sont mal préparés à faire face aux dilemmes moraux auxquels ils seront exposés et s’ils ne sont pas conscients du continuum de la compromission, ils peuvent aveuglément et au bout d’un certain temps laisser les petites vexations professionnelles se transformer en rage et en colère pathologique... et en subir les conséquences désastreuses. Cette progression est clairement prévisible et souvent évitable. Le temps et les ressources consacrées à éviter la compromission sur le plan moral par un enseignement plausible et une supervision proactive apparaissent infimes par rapport à ce qu’il en coûte pour mener des enquêtes criminelles et des enquêtes internes, réunir des commissions d’enquête ou rétablir la confiance de la collectivité et les relations sociopolicières.

Si les services policiers veulent créer un climat moral impeccable, ils doivent adopter une stratégie compréhensive pour l’ensemble du service. Les policiers doivent comprendre et accepter que le «continuum de la compromission» est une réalité qui peut affecter tous les membres du service. Ils doivent apprendre à changer le «sentiment d’être victime» et à intérioriser une «mentalité de survivant». Il est essentiel d’apprendre aux policiers à voir et à comprendre la différence entre ce qu’ils contrôlent et ce qu’ils ne contrôlent pas pour en faire des policiers solides sur le plan moral. Il faut leur enseigner et les amener à mettre en pratique des stratégies leur permettant d’accepter le fait qu’ils ne contrôlent pas leur rôle policier, mais qu’ils ont un contrôle absolu sur leur intégrité et leur professionnalisme.

S’il appartient finalement à chaque policier de respecter le code de déontologie, la direction doit assumer certaines responsabilités. Les superviseurs doivent reconnaître les manquements possibles à la déontologie et s’en occuper proactivement avant qu’ils n’entraînent des problèmes graves. Les superviseurs commettent souvent des actes d’omission. Le fait de négliger des «petites choses» peut finalement avoir des effets dévastateurs pour l’organisation aussi bien que pour le policier. Les superviseurs doivent posséder des habiletés pratiques, être disposés à les employer et ils doivent être tenus responsables de s’acquitter de leurs responsabilités. Les superviseurs, les commandants et la haute direction doivent être conscients de leurs vulnérabilités et des messages amus qu’ils transmettent parfois. Ils ne peuvent pas se contenter de parler de déontologie... ils doivent donner l’exemple et servir chaque jour de modèles de comportement. Les comportements des superviseurs et des cadres qui enfreignent la déontologie ne peuvent que donner des modèles de comportements contraires à la déontologie et transmettre le message suivant : «Faites ce que nous vous disons de faire, ne faites pas ce que nous faisons». Est-ce que le cadre policier qui s’inscrit à un congrès policier (aux frais du contribuable) et qui joue au golf au lieu d’assister au congrès enfreint moins le code de déontologie que l’officier hiérarchique qui n’est pas en mesure de répondre aux appels parce qu’il s’occupe d’affaires personnelles pendant le service? La politique, l’histoire de l’organisation ou les traditions institutionnelles ne devraient jamais servir à rationaliser ou à justifier un comportement contraire à la déontologie. Tant que ce qui se passe au sein du service s’écarte de ce qu’on y enseigne, tout programme de formation en déontologie ne sera guère plus que des voeux pieux et un gaspillage de ressources et de temps précieux.

Le «continuum de la compromission» peut exister à tous les niveaux d’une organisation. La formation en déontologie et l’engagement à viser le niveau d’intégrité personnelle et professionnelle le plus élevé doivent s’adresser à tous les membres et être renouvelées régulièrement dans tout le service. Si l’application de la loi doit posséder, conserver et dans certaines compétences, retrouver le statut d’une profession respectée dans la société, il faut changer la façon d’aborder les questions de déontologie et d’intégrité. Il faut un engagement sincère de l’organisation et une formation valable visant à éviter que de petits incidents n’engendrent des situations graves aux conséquences potentiellement dévastatrices.

Malgré les manchettes, les organisations policières peuvent regagner la confiance perdue, améliorer les relations sociopolicières, protéger la réputation de bien des policiers professionnels et travaillants soucieux du respect de la morale et empêcher des policiers de détruire leurs carrière professionnelle et leur vie personnelle. On ne peut plus considérer la formation en déontologie comme la façade qui permet de faire bonne presse après un incident embarrassant qui a fait les manchettes. La déontologie, l’intégrité, la compromission et la corruption doivent devenir des sujets aussi importants que d’autres domaines de formation policière importants si on veut apporter de véritables changements. En s’engageant sérieusement et en adoptant un rôle proactif, les organisations peuvent s’attendre à consacrer moins de temps à enquêter, à imposer des mesures disciplinaires et à intenter des poursuites à l’endroit des policiers pour des manquements au code de déontologie ou des comportements criminels.

© Kevin M. Gilmartin, Ph.D. / John (Jack) J. Harris, M.Ed.
Gilmartin, Harris & Associates - 1997




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